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Premier apéritif à l'Apostle Bar (P. Z. BRITE)

Imprimer Catégories : Littérature gourmande

Allez savoir pourquoi, on a tous ses rêves. Parmi les miens, il y avait celui d'aller en Louisiane. Pourquoi la Louisiane ? parce qu'adolescente, j'avais dévoré, lu et relu, les romans de Maurice DENUZIERE : Louisiane, Fausse-Rivière et Bagatelle (bien sûr, il y avait les suivants, mais Clarence et Virginie ayant disparus, c'était beaucoup moins intéressant... Pourtant, ce ne fut qu'à mon quatrième voyage aux Etats-Unis que je me suis enfin rendue en Louisiane. C'était en 1998 et je mesure aujourd'hui ma chance, car j'ai connu la Nouvelle-Orléans d'avant Katrina.

Et j'ai adoré : la Lousiane, c'est l'Amérique bien sûr, mais une Amérique baignée par les Caraïbes, avec une bonne humeur et une joie de vivre communicative. Se balader dans la Nouvelle-Orléans, c'est, chose inhabituelle aux Etats-Unis, rencontrer l'histoire à tous les coins de rue, puisque les plaques y sont trilingues, souvenirs des présences successives espagnoles, françaises et américaines... C'est sentir des odeurs exotiques, des parfums de voyage, des épices... C'est entendre de la musique à tous les coins de rues... C'est manger des po-boys et des jambalayas...

Et c'est pourquoi, lorsque Cuné m'a parlé du livre de Poppy Z. BRITE, n'hésitant pas à m'en citer un extrait pour m'allécher davantage, c'était clair, c'était diaphane : il me le fallait !

Alcool.jpg

« — La Nouvelle-Orléans adore la picole. On aime boire, on aime l'idée de boire, on aime être encouragé à boire. Tu crois que tous ces drive-in qui débitent des daïquiris à Métairie ne sont fréquentés que par les touristes ? Les touristes ne vont pas jusqu’en banlieue. Ce sont les locaux qui boivent tous ces daïquiris, et ils pourraient en trouver n’importe où ailleurs, mais ce qui leur plaît avec les drive-in c’est qu’ils ont l’impression de faire quelque chose de mal. On pourrait ouvrir un endroit où on ferait la même chose, mais à une bien plus grande échelle.
— Un menu entièrement basé sur l’alcool.
»

Poppy Z. Brite mixe ambition, scandale, épices, cocaïne et meurtre,
pour  servir Alcool bien tassé, avec une paille !"

Et, sans mauvais jeu de mots, j'ai été servie ! Par Cuné d'abord, qui m'a fait la gentillesse de m'envoyer le livre, et je l'en remecie encore, puis par l'ouvrage lui-même. Une auteur qui a choisi pour prénom Coquelicot ne pouvait que me plaire, pour commencer... quand ensuite elle produit deux personnages aussi attachants que Rickey et G-Man, sans parler de tous ceux qui les entourent, quand elle situe son intrigue dans une ville aussi jubilatoire que la Nouvelle-Orléans, et que de surcroît, elle fait de ses héros des héros récurrents, que demander de plus ?

L'histoire, c'est donc celle de deux jeunes hommes, couple à la ville comme en cuisine, Rickey et G-Man. Se retrouvant au chômage et raides fauchés, l'un d'eux a l'idée lumineuse d'un concept culinaire typiquement new orléanais : une cuisine à l'alcool. C'est-à-dire avec de l'alcool présent dans tous les plats, de l'entrée au dessert. L'idée va plaire à un restaurateur, qui va les financer. S'ensuivront toutes une série de mésaventures - je reconnais avoir moins accroché au côté "polar" de l'intrigue - et autres péripéties compromettant l'ouverture de ce fameux restaurant : Alcool.

On ressort de cette lecture, qu'on avale d'une traite, affamé et le sourire aux lèvres. Ce n'est pas tant l'alcool qui emporte la mise que le plaisir que semble avoir pris Poppy Z. Brite à décrire minutieusement chacun des gestes de ses personnages, leur goût pour les produits et leur art à les mettre en scène. Ainsi que vous le prouve ce passage, premier essai de menu "alcoolisé" :

PREMIER APERITIF A L'APOSTLE BAR

A l'Apostle Bar, G-Man avait effectué la mise en place et achevé tout le travail de préparation. Il tira un récipient du comptoir réfrigéré puis le tendit à Rickey.

- Crème de raifort relevée d'un doigt de whiskey irlandais Bushmills. Je me suis dit que ça se marierait bien avec tes saucisses et tes huîtres.

Rickey goûta cette sauce blanche veloutée à la texture mousseuse. Son goût singulier et acidulé saisissait le palais, mais l'onctuosité de la crème fraîche atténuait cette acidité, l'empêchant ainsi de prendre le dessus.

- Et Joe, ça va ?

- Oui, savamment...

G-Man réduisit en purée les olives kalamata, les câpres et les anchois puis les mélangea avant d'y ajouter du vermouth et de l'huile d'olive vierge extra, tandis que Rickey s'apprêtait à confectionner des saucisses. Il déballa la viande de porc de son papier de boucher rose et la passa au hachoir mécanique. Après avoir assaisonné son mélange avec de l'ail, des clous de girofle, du sel et du poivre noir, il ajouta des pistaches grossièrement pilées, une généreuse rasade de cognac et une truffe découpée en petits dés très fins. Il malaxa les trois derniers ingrédients à la main, pétrissant la viande jusqu'à la rendre soyeuse au toucher, sans toutefois écraser les délicates truffes.

G-Man termina sa tapenade et sortit pour se rendre au bar. il revint avec une ardoise et une boîte de petites craies de couleur. Juché sur un tabouret près de la chambre froide, l'ardoise posée en équilibre sur ses genoux, il écrivit PLATS DU JOUR à la craie bleue puis agrémenta les lettres bleues d'un contour jaune. en dessous, il écrivit : Boulettes de risotto sautées aux truffes noires + Absolut vodka citron - servies avec de la tapenade au vermouth, puis il leva les yeux vers Rickey :

- Comment veux-tu que je formule ton plat du jour ?

- Euh... saucisses bordelaises et... Non, attends un peu... Saucisses aux truffes et au cognac et... Oh et puis, merde, G ! Je sais pas. Je suis pas inspiré, là. Tu crois que tu peux trouver quelque chose pour moi ?

- Bien sûr.

A ces mots, G-Man saisit un bout de craie verte et écrivit : Huîtres en coquille et saucisses maison au cognac, pistaches + truffes noires - servies avec une crème de raifort au Bushmills. Sous la description des plats du jour, il tenta de dessiner des truffes mais ne parvint qu'à griffonner des pâtés ressemblant plus à des étrons qu'à des champignons. Alors il les effaça.

Rickey jeta un coup d'oeil sur l'ardoise.

- Eh, ça rend carrément bien.

- Peut-être que j'ai un talent caché, qui sait ?

- A ta place, je m'en tiendrai à la cuisine. C'est plus lucratif.

G-Man apporta l'ardoise jusqu'en salle et la posa sur une étagère au-dessus du bar. Le service commençait dans une heure. Pour l'instant, le bar était vide à l'exception de deux dockers occupés à écluser de la bière en se disputant à propos du Super Bowl. Ils n'avaient pas franchement l'allure de clients susceptibles d'être intéressés par l'un ou l'autre des plats du jour.

A 18 heures, Rickey et G-Man peaufinèrent leur mise en place déjà impeccable. A 18 h 15, ils remplirent à nouveau d'huile d'olive, de rouille au poivre rouge et de moutarde au cognac, les flacons souples qu'ils avaient utilisé pour garnir les assiettes. A 18 h 22, un client commanda un hamburger et des frites au fromage.

- Fait chier ! Ils ne vont pas avoir envie d'avaler des conneries du genre, ce soir !

- Détends-toi un peu, vieux. Il est encore trop tôt et n'oublie pas qu'on est dans un bar. les vrais mangeurs ne sont pas encore arrivés mais ils seront au rendez-vous, ne t'inquiète pas.

A 18 h 50, quelqu'un commanda le risotto, ouvrant ainsi les hostilités à proprement parler.

Poppy Z. BRITE, Alcool, 2008.

Prime et Soul Kitchen sont encore à venir, mais on peut également retrouver nos deux cuistots parmi son recueil de nouvelles, Petite Cuisine du Diable.

Et décidément, cette rentrée littéraire est sous le signe du goût, puisque n'oubliez pas l'excellent roman de Christophe-Till GEISSLER, Lamelles, dont je parlais la semaine dernière.

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Commentaires

  • Han la la, je viens de petit-déjeuner mais ça me donne à nouveau faim !! :-D

  • Me voilà affamée aussi ! Patricia, t'abuses ! ;))

  • Les filles, j'en suis ravie... même si je ne permettrais aucun commentaire sur le fait d'être affamée de bon matin par des saucisses au cognac et une sauce au Bushmills !;-))

  • (On ne se refait pas ! ;))

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